1910, L’Art Nègre de Markov : Esthétique africaine, émerveillement russe

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Dans les années 2000 bien des Africains, du continent et de par le monde mettent en discussion le fait même que l’Afrique ait pu être porteuse de civilisation, tant sa situation dans le concert des nations se prête pour perdue, catastrophique. A la fin du 19ème siècle pourtant, depuis cinq siècles que la culture matérielle africaine ne cesse d’influencer l’avant-garde des plasticiens européens, le regard de quelques curieux, esprits en quête d’un nouveau souffle artistique s’arrête sur cet ailleurs, esthétique lui aussi. Un artiste russe, original et en décalage par rapport aux canons de son temps, Vladimir [1877-1914], découvre la force et la richesse incommensurable des conceptions des formes, des couleurs, des volumes, des masses. Il s’en émeut et consigne ses impressions, réflexions, théorisations dans un livre unique en son genre, L’Art , écrit en 1910, publié en 1919 à titre posthume, dont les éditions Monde Global ont eu le mérite d’éditer la version française en 2006.

Pour Markov, lancé dans une entreprise de compréhension des expressions plasticiennes du monde, de restitution d’un commun dénominateur universel au «beau», «…rares sont les arts à pouvoir rivaliser avec lui [l’] en ce qui concerne la multiplicité des matériaux», car «Cet art n’a pas son pareil», par son étonnante liberté de création, la richesse et la pluralité des combinaisons de formes et de lignes.

Si au XXIe siècle européen la chose est en discussion pour d’aucuns, on imagine le courage qu’il fallait à cet artiste russe de la fin du XIXe siècle, atypique et grand voyageur pour tenir une telle posture de théoricien et de praticien. Il aura en cela profondément emprunté à Léo Frobenius, anthropologue allemand qui, pionnier en son temps, osa ce que Aimé Césaire appelle une antinomie à l’époque, associer le mot «Afrique» avec le mot «civilisation». Markov suivra certes Frobenius jusqu’aux erreurs de celui-ci qui eut par moments une tendance à faire surgir en pleine civilisation Ife et Nok, une influence artistique européenne … A leur décharge, l’héritage intellectuel, social et mental dans lequel ils se mouvaient ne leur laissaient guère plus de marges de manœuvre, malgré quoi ils bousculèrent sérieusement de plusieurs paliers les conservatismes, et les préjugés.

Ce qui est remarquable chez Markov justement c’est cette entrée en mission contre les procès en arriération, en infériorité faits aux cultures africaines par la pensée savante européenne, prenant passion à déterrer dans sa démarche de plasticien, les hauts faits des civilisations africaines. Observées par le détail des matériaux, des formes, de usages religieux ou laïcs des artéfacts, la culture matérielle africaine sort comme inédite de chez cet amoureux de l’art nègre.

On lui doit aussi des confessions qui valent leur pesant d’or sur le renouveau de l’art européen, confessions généralement bien enfouies dans les bibliothèques au registre des vérités gênantes : «La nouvelle génération d’artistes sait gré à l’Afrique de l’avoir aidée à sortir du marasme et de l’impasse de l’art européen». Il se voudra plus précis en affirmant que Picasso et Matisse étaient enfants de l’école de la statuaire africaine.

L’Art Nègre [éditions Monde Global, 2006] est un ensemble de réflexion et de photographie prises par Markov dans les grands musées européens, sur une sélection voulue par lui de ce qu’il considérait caractéristique de l’esthétique africaine, avec une prise de position globale sur les cultures concernées.

Un ouvrage à avoir, en attendant les prochaines trouvailles de Monde Global…

Posté   le 29 Mar 2007   par   biko

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